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3D SPORT CENTER

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Voile. Desjoyeaux : « On ne fait jamais des bateaux pour qu’ils cassent ! »

Publié le 6 Décembre 2020 par 3D SPORT CENTER dans jauge open, IMOCA, Desjoyeaux, Vendée Globe, Michel Desjoyeaux, foileurs, course au large, course mythique voile, OFNI, foil, quille, Éric Tabarly, Transat Jacques Vabre 2019, cétacé, Hook, naufrages, expérience

Michel Desjoyeaux  : «Quand le bateau enfourne, l’assiette générale du bateau avec l’étrave sous l’eau fait que le pont pousse vers le bas. Avec les foils, ça fait la même chose, ça pousse vers le bas, au milieu du bateau». (Jean-Marie Liot/archives)
Michel Desjoyeaux : «Quand le bateau enfourne, l’assiette générale du bateau avec l’étrave sous l’eau fait que le pont pousse vers le bas. Avec les foils, ça fait la même chose, ça pousse vers le bas, au milieu du bateau». (Jean-Marie Liot/archives)

Double vainqueur du Vendée Globe, Michel Desjoyeaux est aussi un constructeur de bateaux : six Imoca ont été construits chez Mer agitée à Port-la-Forêt. Le « Professeur » nous livre son regard d’expert sur les différents problèmes rencontrés par les foileurs lors de cette 9e édition du Vendée Globe.

Toutes ces casses sur les foileurs neuf sont-elles normales ?

Un peu de statistiques : on est loin du tableau de chasse de 2008, pourtant avec des bateaux simples, avec une faible évolution par rapport à 2004. C’était surtout l’intensité de la course qui avait poussé. Pour cette édition 2020, commençons par quelques lapalissades : un bateau à dérives « classiques » a les dérives relevées quand il est à haute vitesse, donc il ne fait que 6 mètres de large. Avec les foils, qui ne peuvent être escamotés, on est à 12 mètres de large dans l’eau, selon les configurations, donc on ratisse deux fois plus. Différencions les casses : Initiatives Cœur : OFNI sans hésitation. Ça ne pardonne pas. Si un foil a tapé, c’est semble-t-il principalement la quille qui a tapé : structure centrale détruite. Coup de bol, le bateau ne prend pas trop l’eau, Sam peut rentrer.

Arkéa Paprec : OFNI sans hésitation. On voit bien le bord de fuite écrabouillé là où il était dans la cale basse. Le foil est tellement costaud en transversal qu’il est presque indestructible en longi. La cale basse, le palier bas, en fond de coque, a déchaussé. Irréparable à bord, malgré la motivation du skipper. Face à ces deux casses, on peut toujours vouloir faire plus. Éric Tabarly disait : « trop fort n’a jamais manqué ». Certes, on peut faire des coffres-forts, mais ils ne gagneront jamais des courses. On ne fait jamais des bateaux pour qu’ils cassent. Et quand ça tape, on ne sait jamais comment-combien, donc on prend des précautions, en espérant que ça suffira pour ne pas perdre le bateau, mais certainement que les dégâts seront conséquents. Pour moi, sur ces deux cas, arrivés au Cap samedi, le job est fait (Initiatives Cœur date de 2010, et peut-être que grâce à l’accident de Hugo Boss sur la Transat Jacques Vabre 2019, qui avait tapé fort avec la quille, Initiatives est à bon port aujourd’hui !).

 

Linked Out Advens : On n’a pas vu grand-chose. Le bout de foil a-t-il touché un cétacé ou autre ? Une fois endommagé sans trop de dégâts collatéraux, Thomas Ruyant s’est adapté, en coupant tout ou partie malade, pour préserver ce qui pouvait l’être, pour rester efficace.

Je mesure ici la chance que j’ai eue par deux fois quand la mer a laissé passer ma petite barquette en plastique pour rentrer aux Sables.

Hugo Boss : Structure longitudinale dans le quart avant très endommagée. À quel moment ? Juste un saut de vague plus haut que les autres suffit à commencer l’endommagement. Plus tu vois tôt, moins c’est difficile à réparer. Ce qu’a fait Alex, avec les moyens du bord, est impressionnant.

Bureau Vallée : cloison cassée. Bateau de 2016, vainqueur du dernier Vendée, on ne peut pas dire que ce bateau n’a pas été testé et validé ! Là aussi, un saut de vague de trop peut-être !

L’Occitane en Provence : Hook cassé. Sous échantillonné ou bas étai trop tendu ? Je dirais manque de test dans des conditions de vent et de mer dure. Année 2020 de m… qui n’a pas permis de naviguer autant que nécessaire.

On voit des casses évidentes à expliquer, et puis d’autres qui mériteront plus d’investigations. Ce n’est pas satisfaisant, c’est clair, personne n’aime casser, mais c’est une étape de régression nécessaire au progrès. Et puis, s’il ne se passait rien sur le Vendée, ça finirait par n’intéresser que les sportifs avertis. C’est peut-être dur à entendre mais le Vendée Globe qui a fait le plus pour le Vendée Globe, c’est l’édition de 1996 et ses nombreux – et graves – naufrages.

Des bateaux à dérives droites de l’ancienne génération qui vont aussi vite que les foileurs neufs : cela veut-il dire que les foileurs ne sont pas exploités à 100 % de leur potentiel, qu’ils ne tirent pas dessus ?

C’est plutôt les bateaux foilers qui ne tiennent pas – toutes ? - leurs promesses. Tant que la mer est plate, le foiler est irrésistible, entre 15 et 25 nœuds de vent. Dès qu’il y a de la mer, des vagues, et pas forcément rangées comme le vent, mer croisée, le foiler monte très haut et retombe très dur, très très dur ; Trop dur si on n’arrive pas à dompter la bête. Les bateaux neufs sont déjà plus costauds que les générations précédentes, mais, visiblement, ça ne suffit pas pour une utilisation « canot tout temps ». Là, on aborde un épineux sujet, c’est l’adéquation entre la solidité du bateau et la sensibilité du marin. Un bateau léger pour un skipper qui sait lever le pied juste à temps peut passer, mais le risque est grand. D’où, pour moi, si l’optimisation est recherchée, la nécessité du skipper d’être investi dès la conception dans les choix de ce ratio légèreté/solidité. En course au large, on ne peut pas être juste un pilote qui monte dans le baquet quand tout est prêt. Moi je n’ai jamais pu faire ça, je n’aurais pas osé bombarder. On est dans un milieu mal connu et difficile à modéliser, donc on casse - > on renforce/ça ne casse pas - > on peut accélérer. Je sais, ce n’est pas très rationnel comme méthode de progrès, mais on n’a pas trouvé mieux ! Les foilers de dernière génération ont presque tous des grands foils, qu’ils ne peuvent rétracter. La patte est là, dans l’eau, sous le vent, tout le temps. Comme la classe Imoca, après avoir subi l’arrivée des foils, a confirmé verrouiller l’apparition logique d’une gouverne de profondeur sur les safrans, qui permettrait un contrôle de l’assiette et de la hauteur de vol, les coques font office de patin. Ça fait des belles images de bateaux très cabrés façon dragsters, mais on voit bien que le fond de coque ne plane pas au-dessus de l’eau, faisant office de troisième pied au tabouret et ramasse des chocs énormes. Tant qu’on n’aura pas de gouverne de profondeur, on devra encore renforcer les bateaux. En attendant, ce sont les marins qui, devant la violence des chocs dès que la mer se lève, l’apanage du large, s’efforcent de ralentir.

Un Imoca qui se casse en deux en fin de surf, c’est inquiétant non ?

Ma modeste expérience me fait dire que, dans la plupart des cas de casse mécanique hors choc, la casse, effective, visible par le marin, n’a lieu que bien après le début de l’endommagement. Par où ça a commencé ? La coque à la suite d’un choc ? Le pont, comme « Le Souffle du Nord » en 2016 ? Thomas Ruyant avait été chanceux d’avoir senti le bateau se casser en deux, juste à temps. Kevin Escoffier savait que ce bateau était léger, l’avait renforcé. Suffisamment ? Malheureusement, on ne saura jamais, le bateau a coulé en quelques secondes, ne laissant au skipper aucune opportunité de voir et peut-être de comprendre. Au passage, apprécions la nécessité d’expérience et de sérénité des marins, ce que j’appelle « avoir le cuir assez épais », et les bonnes pratiques en matière d’équipement de sécurité à disposition immédiate du marin…

Jean Le Cam dit que les foileurs ne sont pas adaptés au Vendée Globe. Exagère-t-il ?

Jean Le Cam n’exagère jamais, ou toujours ! Je comprends ce qu’il veut dire. Jusqu’à preuve du contraire, les mers du Sud n’ont pas été favorables au potentiel énorme des foilers, pour cause d’état de mer. J’aurais aimé voir le comportement dans le Grand Sud d’Hugo Boss et d’Arkéa Paprec, avec leurs foils rétractables, donc régulables. L’on voit Bureau Vallée avec une version de 2016 tirer plus que bien son épingle du jeu, grâce à ses « petits » foils, rétractables, où il peut doser son appui. Chaque édition apporte ses enseignements. Si Jean a peut-être raison au premier tiers de course, attendons la fin de la foire, et ça servira pour l’édition 2024, c’est le jeu !

Qui est responsable, les architectes sur lesquels on tape toujours en cas de casse, ceux qui calculent les efforts, les skippers, la classe Imoca ? Un peu tout le monde ?

Je ne connais personne, architecte, calculateur, constructeur, équipe, skipper, qui n’ait jamais fait d’erreur. Cependant, je ne souscris pas au discours du « c’est de la faute de l’autre », chacun a sa part de responsabilité, un peu comme la gestion de la pandémie actuelle. Un bateau est le produit d’un travail d’équipe. Contrairement à ce que j’entends parfois, on ne fait pas des bateaux pour qu’ils cassent, mais comme on fait de la compétition, on va chercher « les bords de la limite », au risque d’aller trop loin. Nelson Mandela disait « je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends ». Je trouve que cela s’applique très bien aujourd’hui. En course au large, on continue d’apprendre, individuellement et collectivement, et de grâce, ça va continuer !

Le mât monotype est-il trop faible pour les nouveaux foileurs toujours plus puissants ?

Oui, j’en suis convaincu. Ces mâts ont été conçus avant l’apparition des foils. Sans même parler des chocs et donc des efforts dynamiques associés, les foils apportent un gain de stabilité transversale, le fameux couple de redressement, qui fait qu’aujourd’hui, non seulement un mât monotype n’est pas beaucoup moins cher qu’un mât à l’unité, mais comme il n’est pas assez solide pour être « idiot proof », donc pas adapté à une utilisation solitaire en course au large, on dépense des sommes non négligeables en ajoutant des capteurs pour surveiller les charges dans le gréement, après avoir fait et refait tous les calculs possibles et imaginables pour savoir comment le faire tenir en l’air. C’était déjà le cas avec les foils de 2016, alors je ne parle pas des grands foils cuvée 2020.

Soit on libère le mât monotype, soit on interdit les foils…

À trop vouloir limiter le coût par la technologie, on se prend les pieds dans le tapis de l’imagination au service de la performance, un effet boomerang.

Kevin Escoffier a évoqué « les foils qui s’inversent » : ça veut dire qu’au lieu de faire voler le bateau, les foils l’attirent vers le bas, l’enfoncent dans l’eau ?

Oui, bien sûr ! C’est un cas de chargement qu’on étudie. En effet, quand le bateau enfourne, l’assiette générale du bateau avec l’étrave sous l’eau fait que le pont pousse vers le bas. Avec les foils, ça fait la même chose, ça pousse vers le bas, au milieu du bateau. Le foil, la structure du bateau, les systèmes de manœuvre du foil sont, doivent, être faits pour.

Si vous deviez repartir sur le Vendée Globe 2024, à quoi ressemblerait votre Imoca ?

Ce serait le plus beau et le plus rapide ! Certainement pas le plus léger, mais pas le plus lourd non plus. Il aurait des foils, des gouvernes de profondeurs sur les safrans, un mât plus solide qu’autorisé actuellement. Comme les trois derniers bateaux fabriqués par Mer Agitée, il aurait une cloison étanche de plus que le minimum obligatoire autour des foils et de la quille.

La solution ne serait-elle pas d’imposer des foils totalement rétractables ?

Pour quelle bonne raison ? La jauge Imoca était une jauge open. Concernant la sécurité, qui est pour moi le principal objectif des contraintes, bien avant l’équité sportive, beaucoup de progrès ont été faits depuis 1989, chaque édition ayant amené son lot. La règle est là pour mettre sur un pied d’équité -relative- celui qui se soucie de sa sécurité et celui qui s’en fout. Heureusement, plusieurs de ces contraintes ont amené de la performance, donc personne n’a trop chouiné. Gageons que Jean Le Cam a raison, et que dans quatre ans, les compétiteurs choisiront, sans contrainte supplémentaire, quelque chose de plus 4L que Ferrari, parce que plus performant que la génération d’aujourd’hui !

source : https://www.letelegramme.fr/voile/desjoyeaux-on-ne-fait-jamais-des-bateaux-pour-qu-ils-cassent-05-12-2020-12668039.php

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